Modèle de la cristallisation métastable
Dans le modèle de Simondon du moule à briques, l’intervention humaine était patente à tous les niveaux macroscopiques. Il en était de même dans l’exemple primitif, illustrant la transduction par la formation de bosses sur une piste de ski. Toute intervention humaine peut être évitée au contraire dans le modèle de la cristallisation.
L’analogie est une caractéristique relationnelle qui ne supprime pas l’hétérogénéité des domaines, qui la recherche au contraire. L’analogie établie par Simondon consiste alors à ressaisir en chaque domaine de réalité la spécificité d’un processus d’individuation : l’individu, défini comme une activité d’individuation, prolonge dans sa relation à un milieu l’opération de genèse qui lui a donné naissance. Le schème de pensée de l’individuation est la transduction : opération de structuration s’étendant de proche en proche à partir du dépassement d’un seuil structurel. Dans le cristal il s’agit, après introduction d’un germe, d’une croissance itérative de la même structure en conservant son orientation. La genèse de cristaux comme processus d’individuation saisit l’activité à la limite du cristal en voie de formation : forme, matière, et énergie préexistent dans le système, une énergie potentielle s’actualise en même temps qu’une matière s’ordonne en individus structurés se développant par un processus d’amplification.
L’équilibre métastable peut être rompu par certaines variations : dans un système surtendu, des potentiels libérés produisent un changement brusque conduisant à un nouvel équilibre métastable. Simondon est guidé par l’analogie de l’individuation avec le phénomène de cristallisation dans une solution sursaturée ou en surfusion. Il recherche un modèle d’étapes successives de structuration individuante d’états métastables au moyen d’inventions successives de structures. Il a recours à la métaphore de la cristallisation, présentée comme une rencontre d’énergies potentielles thermodynamiques, de matières diverses (des liquides sursaturés et cristaux formés), et de formes intervenant pour introduire une condition informationnelle : un stimulus engendrant une réponse dans une solution sursaturée ou en surfusion s’il dépasse un seuil structurel (présence d’un germe, singularité qui introduit de l’information, guidant le mode de cristallisation) compatible avec le processus de cristallisation dans les conditions énergétiques présentes.
Cette rencontre est nécessaire pour que la transformation ait lieu, mais non suffisante : il faut aussi que le système dispose avant la transformation d’énergie potentielle et ne soit pas stable mais métastable : la métastabilité est essentielle, elle permet de composer être et devenir, de suspendre la genèse s’il en est besoin. L’actualisation de l’énergie potentielle a lieu si les conditions thermodynamiques le permettent.
La cristallisation est vue comme une transduction : le cristal naît dans une solution sursaturée, ou en surfusion, domaine qui détermine la structure où s’actualise l’énergie potentielle, asservie par la cristallisation. Le cristal n’est individu que pendant sa genèse, dans un milieu qui naît en même temps, pendant la durée de la résonance interne. La cristallogenèse est transductive : la relation entre le cristal individu et son milieu, est l’échange entre structure et énergie, qui constitue ce cristal et son milieu, qui ne préexistent donc pas à ladite relation. Un cristal qui à partir d’un germe très petit grossit et s’étend selon toutes les directions dans son eau-mère fournit l’image la plus simple de l’opération transductive ; chaque couche moléculaire déjà constituée sert de base structurante à la couche en train de se former : le résultat est une structure réticulaire amplifiante.
Il y a d’abord une réalité préindividuelle métastable, puis l’individu et le milieu associé qui en forment le système porteur d’énergie, de potentiels.
Une notion structurale de seuil, ou de saut quantique, permet de saisir la discontinuité entre états métastables, analogue à celles décrites à propos du recuit simulé.
Le phénomène de la cristallisation se décrit lui-même comme suit :
Dans le processus de cristallisation par surfusion, le passage de l’état liquide au solide requiert de l’énergie. La surfusion en dessous de la température critique de solidification est due à une énergie de tension superficielle à l’interface solide-liquide qui est dépensée quand un germe forme le solide : le germe de solide en voie de congélation est instable car refondu aussitôt par l’agitation thermique ; la chaleur latente de fusion libérée par la solidification n’a pas compensé l’énergie créant l’interface. L’état liquide alors prolongé peut être déstabilisé par la présence d’un gros noyau de condensation : impureté ou germe de cristal.
Dans le processus de cristallisation par sursaturation, la solubilité d’un solide dans un liquide solvant augmente avec la température : si on le chauffe puis qu’on le refroidit sans précaution, on provoque la cristallisation du soluté quand on atteint une zone de nucléation spontanée ; si on le refroidit lentement, une sursaturation se produit : le liquide solvant contient plus de soluté qu’il ne peut en dissoudre, il est dans un état métastable : si on ajoute un germe de cristal, il grossira par cristallisation du soluté ; sans germe la solution restera sursaturée en une seule phase, sans nucléation. La croissance est le transport de molécules du soluté vers les cristaux.
La sursaturation est une différence de potentiel chimique entre la solution sursaturée et le cristal : elle est mesurée par la différence entre la concentration du soluté et la solubilité. Le système va évoluer vers l’équilibre thermodynamique. La différence de potentiel chimique est l’analogue d’une force motrice qui forme des petits cristaux et les fait croître.
NB de l’auteur:
Le modèle de SIMONDON présente la transduction comme une actualisation d’énergies potentielles existant dans des objets naturels.
Les objets naturels se présentent comme des systèmes quelconques hétérogènes se composant de matières réunies par hasard, soumises à des contraintes: extérieures au systéme ou intérieures entre ses composants, exprimant des lois physiques.
J’ai présenté dans un livre:[1] une description physique de ces énergies, analysée par le physicien américain Gibbs en 1875 , qui a voulu réaliser une analyse exhaustive de tous les potentiels imaginables à l’époque: énergie cinétique, gravité, capillarité, chimique, électrique, magnétique, d’interface entre phases, etc..
Les contraintes se traduisent par une “règle des phases“, qui est une des très grandes lois de la nature telle qu’elle se présente dans sa diversité: peut-être l’avant dernière loi de la physique classique, précédant la révolution quantique de Planck en 1900, la dernière loi “classique”: E = mc2 étant survenue un peu plus tard, en 1905.
Je reproduis l’essentiel de ce texte scientifique dans un article spécial de ce blog: Description physique de la transduction
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[1] KADOSCH M.: Les embûches de la création, Createspace, 2016, pp 117-122.