Description physique de la transduction

Description physique des modèles de la transduction[1]

Le modèle de la cristallisation , présentant la transduction de Simondon comme une actualisation d’énergies potentielles, de matières et de formes d’un système capable d’évoluer, a recours à une métaphore sur des phénomènes de physique dont les bases méritent d’être clairement rappelées, pour pouvoir s’appuyer sur ce que les physiciens ont solidement établi comme pour éviter des dérapages de sens.

Le principe de conservation à la base de la physique, soupçonné depuis Anaxagore, stipule que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme d’une forme d’énergie, de matière, et de forme en une autre.

L’énergie est conservée mais se dégrade, pour atteindre un état final d’équilibre stable où elle ne peut plus se transformer parce que l’énergie potentielle est minimum et ne peut plus être activée. L’analogie est donc recherchée avec des systèmes en état métastable encore susceptibles de transformations multiples.

La tendance au changement est mesurée entre autres par la variation des potentiels chimiques de substances présentes multiples, exprimés en kilojoules/mole de substance au niveau macroscopique.

Il nous faut pour commencer préciser les notions de potentiel et de phase : il est indispensable d’en rapporter les définitions dans le contexte d’un système constitué d’un mélange hétérogène de composants en nombre quelconque, de forme quelconque pour utiliser le modèle physique le  plus général, et de se repérer par rapport  à l’état final où  l’équilibre thermodynamique, c’est-à-dire d’équilibre mécanique, thermique, et chimique, est stable et l’énergie potentielle minimum.

Dans un mélange de corps, un potentiel chimique est le changement d’énergie correspondant à la variation de la quantité de chaque constituant  du mélange. Il sert à définir l’équilibre des phases dans le mélange.

Une phase est la situation macroscopique d’une grandeur variable (solide, liquide, gaz, ion …), d’une masse de composition homogène ou de concentration uniforme, limitée par une frontière, un bord, un « contour » : c’est une notion spatiale dans ce contexte ; un système homogène, composé d’un certain nombre de constituants chimiques, et de frontière définie, constitue une phase ;  des cristaux de formes différentes constituent autant de phases.

Le mélange de corps le plus général comprend plusieurs constituants chimiques, chacun pouvant apparaître dans plusieurs phases.

Pour donner un exemple, imaginons une boîte divisée en deux compartiments séparés par une paroi  étanche amovible, tous deux à la pression atmosphérique ambiante et à la température ambiante de 20°C : une solution d’eau salée contenant 1% de sel occupe l’un des compartiments, où il se trouve en équilibre stable et forme une phase liquide de deux constituants : eau et sel. Une  quantité de sel solide remplit l’autre compartiment à la même pression et la même température, en équilibre également, et forme une phase solide à un constituant. Si on retire doucement cette paroi et qu’on maintient la pression et la température aux mêmes valeurs,  on observe qu’une certaine quantité de sel se dissout, et au bout d’un certain temps le changement s’arrête et la solution contient 10% de sel, forme une nouvelle phase liquide  à deux constituants, la phase solide ayant disparu en se dissolvant.

On en conclut que dans l’état initial, juste  au moment où l’on a retiré la séparation, le système était encore en équilibre mécanique et thermique (même pression et température), mais n’était pas en équilibre chimique ; qu’à l’état final l’équilibre chimique étant aussi obtenu grâce à la dilution d’une quantité de sel dans la solution à 1%, l’équilibre thermodynamique est alors atteint, accompagné d’un transfert de sel dans la solution. La solution liquide est une phase, dont la composition a varié. Les deux phases initiales : liquide et solide, sont homogènes, ont une frontière bien définie,  sont à la même pression et la même température : elles ont donc un volume bien défini V  et on peut évaluer  le nombre de moles n de chaque constituant dans chaque phase. Les phases ont changé d’état tout en ayant été en équilibre mécanique P et thermique T : l’état est défini par une équation d’état qui est une relation entre P, T, V et le nombre de moles n de chaque constituant dans chaque phase.

Le mélange a alors une énergie interne U bien définie par ces grandeurs, comme la somme des énergies  des constituants sur toutes les phases: énergies qui se transforment en se conservant,  mais aussi en se dégradant par le désordre moléculaire à l’échelle microscopique : ce désordre est mesuré par l’entropie S du mélange.

Le potentiel, introduit jusqu’ici comme ce qui existe « en puissance », est en fait une forme d’énergie (kilojoules)  ;  le potentiel chimique d’un constituant est l’énergie d’une mole de ce constituant, variable intensive μ (kj/mole) conjuguée d’une variable extensive n (moles) exprimant une quantité de moles, leur produit étant une énergie(kj) de chaque constituant .

La pression P intensive est conjuguée du volume V extensif, la température T intensive conjuguée de l’entropie S.

À partir des variables : énergie Interne U, pression P, volume V, température T, et entropie S, on définit l’enthalpie libre : G = U+PV-TS

L’enthalpie libre d’un système quelconque est la somme des énergies d’un grand nombre de potentiels, et on peut la faire varier en modifiant dans le système la quantité extensive concernée correspondant à chacun d’entre eux : le nombre de moles n de chaque constituant du mélange dans chaque phase pour chaque potentiel chimique, l’entropie pour la température du mélange, le volume pour la pression du mélange, la charge pour le potentiel électrique, la masse pour le potentiel gravitationnel, la quantité de mouvement pour la vitesse (énergie cinétique), l’aire d’une frontière entre constituants pour l’énergie d’interface, le moment dipolaire pour le champ électromagnétique, etc.

Le potentiel chimique du mélange dans une réaction à la température ambiante et à la pression atmosphérique est défini à partir de l’enthalpie libre : G = U + PV –TS, où P et T ne varient pas.

En particulier si le phénomène se limite à une transition de phase : fusion, vaporisation, sublimation, il se produit un transfert de chaleur, dit chaleur latente L, et un changement du volume V, tandis que la pression P et la température T ne changent pas : cette chaleur latente L correspond à une augmentation d’entropie, augmentation des mouvements moléculaires : L = T(S final –S initial).

Considérons comme autre exemple un mélange homogène de n moles d’oxygène avec n’ moles d’hydrogène à la pression atmosphérique et à la température ambiante. On pourrait croire qu’il restera indéfiniment sans changer d’état, donc à l’état d’équilibre thermodynamique. Cependant si on produit une étincelle électrique le mélange explose, et si on attend le retour à la pression atmosphérique et à la température ambiante on observe une composition de 2n moles de vapeur d’eau, et (n’-2n) moles d’hydrogène ;  de même si on place dans le mélange un catalyseur comme de l’amiante platinisée : il commence par se combiner avec les gaz, et reprend à la fin sa forme initiale en laissant les produits de la réaction. Donc le mélange initial n’était pas en équilibre chimique, et un état d’équilibre thermodynamique ayant été atteint finalement on conclut que la transition vers l’équilibre thermodynamique doit se produire quand même, très lentement  si on ne fait rien pour l’accélérer.

    Si une réaction chimique intervient entre les constituants présents, des réactifs sont consommés et des produits apparaissent. Si la réaction est équilibrée, l’entropie est maximum et ne varie plus, mais des réactifs peuvent continuer à se transformer en produits.

Les substances du système peuvent être des mélanges homogènes, ou hétérogènes, des alliages, des solutions d’un soluté dans un solvant. Elles peuvent même être absentes tout en ayant un potentiel chimique, qui est l’énergie qu’il faudrait dépenser pour en introduire une mole dans le mélange. Si l’on tient compte de toutes les potentialités « potentielles », le potentiel chimique est défini à une constante près. Si on accorde alors un potentiel zéro aux réactifs élémentaires d’une réaction et que le potentiel d’un produit de cette substance est positif, c’est un indice d’instabilité intrinsèque de la présence de ce produit par rapport à ses composants  ;  mais si le produit a été fabriqué quand même, c’est qu’il était dans un état métastable en raison d’une énergie d’activation trop grande à la température présente.

Par exemple une substance organique comme le benzène C6H6 (hexagone de Kékulé) a un potentiel positif chimique : + 125 kj/mol si on attribue un potentiel zéro au carbone solide et à l’hydrogène gazeux, il est donc métastable à la température ambiante.

Imaginons alors un système quelconque hétérogène de matières, comprenant pour simplifier des constituants chimiques en nombre c, chacun pouvant être dans des phases en nombre φ, toutes homogènes avec une frontière, à la même pression P et la même température T : notons chaque constituant par un numéro i et sa phase par un indice j, le potentiel chimique de chacun par la lettre μ (kilojoules/mole) et sa quantité (nombre de moles) par la lettre n.

L’enthalpie libre du système hétérogène (fonction de Gibbs G) est une somme de potentiels partiels de la forme μ(i,j)n(i,j). Le nombre total de variables, déterminant P, V et les cφ fractions distinctes du mélange est égal à : cφ+2.

Le système est à l’équilibre si la fonction G soumise à un certain nombre de contraintes imposées, extérieures au système ou intérieures entre les composants, atteint un minimum.

Une contrainte est une règle obligatoire qui réduit une  liberté d’action. Un degré de liberté est une évolution permise dans une direction non contrainte.

Or les notions de contrainte, règle, liberté d’action, appliquées ici à des grandeurs physico-chimiques, mais fondamentales en mécanique,  jouent aussi un rôle essentiel dans les  libertés des êtres humains, dont elles tissent les innombrables relations . Contentons-nous ici de mentionner celles qui ont été présentées dans ce  blog:  contraintes dans les réseaux de transport , temporelles  ou optimisant un coût ; contraintes spatiales limitant les mouvements  ; création musicale par des contraintes .

Mathématiquement, la condition d’équilibre est un problème résolu par la méthode des multiplicateurs de Lagrange : le résultat du calcul exprime qu’à l’équilibre le potentiel chimique d’un constituant doit avoir la même valeur dans toutes les phases de ce constituant : μ(i,j) pour chaque i est le même quel que soit j  ;  pour chaque constituant il y a (φ-1) égalités d’équilibre de ce type, compte tenu de ce que ces équations entre potentiels qui sont des variables intensives ne contiennent pas les quantités absolues n(i,j) variables extensives, mais seulement la fraction : x(i) = n(i)/Σn de ce constituant dans le mélange ; il y a donc en tout c(φ-1) équations d’équilibre de phases, plus φ équations, une pour chaque phase j, de la forme :

Σx(i) = 1, soit : c(φ-1) + φ équations.

Le nombre total d’équations est : c(φ-1)+ φ, tandis que le nombre de variables est : cφ +2. La différence :

δ= cφ +2 – ( c(φ-1) + φ) = c – φ+ 2

est le nombre de variables qui peuvent être choisies arbitrairement à ce stade d’expression mathématique du mélange hétérogène : autrement dit, le nombre de degrés de liberté, d’évolution, permise dans une direction non contrainte, est le nombre de constituants moins celui des phases plus deux.

Ce nombre δ s’appelle aussi variance. Le système mathématique est entièrement déterminé à l’équilibre si la variance est zéro.

Par exemple l’eau au point triple est un système en équilibre déterminé :

c = 1  ; φ = 3  ; δ= 0.

On peut écrire aussi : φ=c+2-δ: le nombre de phases distinctes possibles est égal à celui des composants plus deux moins   le nombre des degrés de liberté.

Physico-chimiquement, il faut tenir compte au surplus de toutes les contraintes imposées dans les conditions énergétiques présentes pour savoir si des énergies potentielles s’actualiseront.

Si parmi les constituants du mélange hétérogène il y en a qui peuvent être chimiquement actives et participer à une réaction chimique où des constituants réactifs sont consommés et des constituants produits apparaissent, le calcul montre qu’une équation d’équilibre supplémentaire apparaît, qui est l’équation exprimant la réaction d’équilibre entre les potentiels chimiques des réactifs et des produits. La variance δ diminue d’une unité de ce fait, ou de r unités s’il se produit r réactions chimiques indépendantes : δ’ = (c-r) –φ +2 est la variance correspondante

Par exemple dans le mélange réactif de n moles d’oxygène avec n’ moles d’hydrogène produisant 2n moles de vapeur d’eau et n’-2n moles d’hydrogène évoqué plus haut, on a :

c = 3  ;  r = 1  ; φ = 1  ;  δ’ = 3 (ou 2 si la vapeur d’eau se condense) : on peut fixer la température, la pression, et le potentiel ou la pression partielle de l’un des gaz.

D’autres contraintes sur les équations d’équilibre peuvent intervenir, par exemple si dans une solution il se produit une dissociation des molécules en ions positifs et négatifs : s’il ne se produit pas de précipité, les ions sont dans la même phase liquide, mais la dissociation a pour effet qu’une équation supplémentaire exprime que la somme des ions doit être neutre électriquement. Il faut donc réduire encore la variance δ d’autant d’unités que de contraintes restrictives semblables dont il faut tenir compte.

On obtient ainsi la règle des phases :

          δ’ = (c –r – autres restrictions) – φ+ 2

règle qui a fait l’objet d’un long mémoire publié en 1875 par le physicien américain Gibbs dans un obscur journal du Connecticut, comme le résultat d’une analyse exhaustive de tous les potentiels imaginables à l’époque : énergie cinétique, gravité, capillarité, chimique, champ électrique, magnétique, énergie d’interface, etc..

Cette règle est considérée comme une des très grandes lois de la nature telle qu’elle se présente dans sa diversité : l’avant dernière grande loi de la physique classique, avant la révolution quantique inaugurée par Planck en 1900  ;  la dernière loi classique : E = mc² ayant été formulée un peu plus tard en 1905.

Une autre règle dérivée est le théorème de Le Chatelier qui stipule :

Si une intervention  extérieure change les facteurs de l’équilibre, un changement inverse se produit à l’intérieur du système, qui tend à éliminer les perturbations de son équilibre.

[1] ZEMANSKY M. : Heat and Thermodynamics, McGraw-Hill,N-Y, 1937, pp. 316 et seq.

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