Qu’est ce qu’un transport de personnes?

Appelons «transport de personnes» leur déplacement d’un point vers un autre s’il est intentionnel, ou obligé, et d’une longueur supérieure à un maximum qui serait parcouru à pied sans fatigue et sans ressentir le besoin d’une aide. Sa finalité est d’économiser du temps et d’éviter de la fatigue. Il implique l’emploi de technologies de transport de personnes et une dépense d’énergie conséquente, définissant  un « système de transport » collectif. Le transport de personnes ressentant le besoin d’une aide nécessiterait  des mesures particulières adaptées.

Ce concept est distinct de celui de «déplacement de piéton». L’amélioration de ces déplacements de piétons passe peu par la technologie:  elle implique l’emploi de peu d’énergie et de beaucoup d’information. A la limite un piéton qui marche vers un but pourrait se considérer comme un véhicule se transportant lui-même, motorisé par son métabolisme, pour tout déplacement ne nécessitant pas l’emploi d’une aide technique ;  de même une bicyclette, des patins à roulettes, un skateboard, une trottinette électrique, sont utilisés par une personne, ou par une population, pour se déplacer sur des supports appropriés.

Un système de transport doit être animé d’une vitesse relative suffisamment élevée pour que le gain de temps de transport incite à son utilisation. L’usager standard pourrait monter dans le sens du mouvement sur le tapis d’un trottoir roulant à 0,7 mètre par seconde, ou en Europe de l’Est à 0,8 mètre par seconde maximum, en limitant l’accès du trottoir aux personnes suffisamment ingambes. Sinon, il faut que le plancher du transporteur s’immobilise un moment pour que l’usager puisse s’y transférer par lui-même avant d’être transporté.

Les promoteurs de people movers ont estimé pour la plupart qu’il fallait arrêter un véhicule et en ouvrir la porte pendant un certain temps pour laisser les usagers y pénétrer ou en sortir. Mais le système s’en trouvait pénalisé par une limitation sévère du trafic. On a donc cherché s’il était possible d’ouvrir la porte d’un véhicule circulant dans une station à vitesse assez faible pour permettre aux usagers d’y monter ou d’en descendre sans que le véhicule s’arrête ;  contrairement au trottoir roulant il fallait alors que les usagers entrent et sortent latéralement et non dans le sens de la marche. À cet effet on a utilisé d’abord la troupe, public non significatif, puis des bénévoles, pour expérimenter l’accès latéral à une plateforme en mouvement : l’usager moyen peut monter latéralement sur un véhicule qui défile devant lui à 0,35 mètre par seconde maximum, sans s’appuyer sur un support pendant le changement de référence. Il faut accélérer ensuite le véhicule à une allure supportable par tous les usagers : environ 15% de l’accélération de la pesanteur terrestre, jusqu’à atteindre une vitesse de croisière intéressante.

Deux techniques sont possibles sans arrêt complet du véhicule :

– ou bien l’usager parvient à  monter latéralement ou non dans un véhicule motorisé (ex: autobus, tramway) qui se déplace sur une voie fixe, dite passive  ;

– ou bien il parvient à se placer lui-même, ou dans un habitacle non motorisé, passif, circulant sur une voie mobile, dite active  ;  le téleski, la télécabine qui remontent la pente tirés par un câble sont des voies actives transportant des personnes dans des véhicules passifs.

Il est intéressant de noter que dans ce cas précis l’interface de l’artefact avec l’environnement externe, comprenant la personne de l’usager, a fait apparaître des conditions physiques incontournables de fonctionnement de l’appareil : une circonstance lourde de conséquences obligeant à le développer en présence du public avec sa participation active, ce qui a fait reculer beaucoup de promoteurs qui ne concevaient pas qu’on puisse développer une innovation autrement qu’en milieu intérieur avant de l’ouvrir au public, sans cette participation.

Des méditations de ce genre se présentent  à l’esprit chaque fois qu’on utilise un moyen de transport inhabituel. Ce fut mon cas pour la première fois à Alger en 1940, époque coloniale désormais révolue, lorsque j’allais rendre visite à un ami habitant en banlieue sur la colline d’El Biar. À cette occasion j’empruntais le tramway qui parcourait les tournants Rovigo: « là où le tram y se tord et y se casse pas », avant de longer la Casbah (fig 1a). C’est assurément le trajet qu’un romancier local aurait choisi s’il avait conçu un jour le projet de s’inspirer de la démarche de Joyce pour décrire le voyage d’Ulysse comme un transport urbain. On y traversait jadis des populations provenant de tous les bords de la Méditerranée occidentale, et de ses îles : elles y ont élaboré une langue : le pataouete,  comprise de tous.

À chaque tournant Rovigo, le tortillard avançait à une vitesse de tortue qui ne devait pas dépasser 0,35 mètre par seconde, car beaucoup d’usagers y montaient ou en descendaient en marche après avoir parcouru le trajet à ouf (à l’œil, en pataouete) en esquivant la présence du contrôleur.

 Il arrivait aussi que le tram soit poursuivi par une passagère essoufflée ou un demandeur qui levait la main loin d’un arrêt  ;  il se trouvait toujours un voyageur pour crier au machiniste : — Tiens bon ! (stop ! en pataouete) et le tram compatissant s’arrêtait  ou  ralentissait un moment (fig 1b).

Montant à cette allure j’ai payé mon ticket, suivi d’un autre homme que le contrôleur voulut faire descendre parce que le tram était complet, mais il refusa en déclarant :     —J’ai le droit de monter en surcharge, je suis ingénieur des mines.

Je n’ai jamais su quelle était la raison de ce privilège, mais le tram supporta ce poids supplémentaire.

 

                                                   Fig 1a. Les tournants Rovigo (Alger)

                                            Fig 1b. Le tram dans les tournants Rovigo

En 1948 un film documentaire : « Transports urbains », de Marcel Gibaud, mit à la portée de tous ces propriétés élémentaires, commentées avec le plus grand sérieux par Claude Dauphin pour illustrer  cette fois le tramway de Versailles.

Il expliquait sentencieusement le fonctionnement de ce tramway dans lequel on monte à l’arrêt : — Vous mettez pour commencer le pied droit sur le marche-pied. Puis vous placez à coté le pied gauche, en saisissant la rampe de votre main droite….

 

                                             Fig 2. Marchepied du tram de Versailles

Puis Claude Dauphin décrivait l’oblitératrice du contrôleur qui après vous avoir vendu un ticket y faisait le petit trou glorifié plus tard par Serge Gainsbourg. Mais la grande scène dramatique du film était le tournoi inquiétant des deux tramways (Fig 3 ) se jetant l’un contre l’autre nez à nez, prêts à croiser leurs perches comme deux lances, l’un montant, l’autre descendant à toute vitesse en passant devant l’église dont la croix présageait le sort funeste réservé aux passagers, lorsqu’au dernier moment Claude Dauphin annonçait  triomphalement l’intervention miraculeuse d’un Deus ex machina : le crocodile, aiguillage bicentenaire, qui transportait l’un des deux trams sur une autre voie pour qu’ils se croisent en s’évitant.

                                                      Fig 3. Le croisement

Les People Movers

   Dans les transporteurs de personnes proposés par la suite, le référentiel mobile est une voie active qui se déplace elle-même d’une origine à une destination pour transporter les piétons préalablement chargés comme expliqué plus loin. Les usagers y sont chargés soit à pied, soit dans une nacelle immobile sur la voie qui les transporte, comme dans les «œufs» des sports d’hiver tirés par un câble.

Le trottoir roulant accéléré : TRAX (RATP), ou SPEEDAWAY (Bouladon), utilisait un mécanisme multipliant par 5 la vitesse de chargement de 0,8 mètre par seconde et en même temps la distance séparant les piétons, auxquels le transporteur demandait de «jouer le jeu» en restant immobiles, sans se rapprocher, la distance étant redivisée par 5 à l’arrivée.

Il est probable qu’à cette vitesse augmentée la plupart des usagers par jeu ou non se garderaient de lâcher la main courante du trottoir.

Mais on peut parier que des petits malins joueraient un autre jeu : ils auraient vite fait de repérer qu’en montant, disons derrière une jolie fille, à la distance «honnête» de 50 centimètres, démultipliée à 2,50 mètres dans la partie accélérée, ils auraient la faculté de s’y rapprocher à la distance cette fois malhonnête de 50 centimètres, qui serait réduite à 10 centimètres dans la partie finale ralentie du parcours, quittes à prononcer une vague excuse après une collision recherchée… Et beaucoup de passagers  ne jouant à aucun jeu   rencontrèrent des difficultés susceptibles de provoquer involontairement un accident personnel, ce qui fut le cas, qui conduisit à l’abandon final de ce système.

D’autres People Movers offraient de charger le passager dans une cabine, voire sur une simple banquette, qu’un support mobile faisait défiler devant lui lentement et dans laquelle il montait latéralement, puis cette cabine était accélérée soit par un mécanisme multiplicateur (le DELTA-V) comme le trottoir roulant accéléré, soit par l’équivalent d’une rampe de lancement qui la portait à la vitesse de la voie active où elle était transférée, sans risque de collision entre cabines consécutives.

Le VEC (Cytec), et le POMA 2000 (Pomagalsky) transportent les usagers dans des cabines, ainsi chargées sur une voie active: déposées sur un convoyeur pour le VEC  ;  accrochées à un câble par une pince située sous la cabine pour le POMA 2000.

Suite => Une technologie simple : le VEC

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