Les problèmes du moteur d’aviation à piston sont un bon exemple des problèmes d’un objet technique naissant, qui subit des mues, et disparaît, en engrangeant de l’information provenant de son milieu associé : cela fait partie de son être. La forme des milieux associés révèle l’information engrangée, se traduisant par une interaction entre les éléments.
Un moteur est d’abord défini comme un assemblage d’éléments remplissant chacun une fonction déterminée, qu’on lui fait remplir au mieux sans tenir compte des autres ; puis l’assemblage des organes soulève des problèmes, traités en ajoutant des pièces ayant pour fonction de résoudre ces problèmes de la manière la plus efficace.
Dans un moteur abstrait chaque élément joue un rôle indépendamment des autres. Dans un moteur concret chaque rôle peut être joué par un ensemble d’acteurs présents quels qu’ils soient si leur alliance engendre un avantage.
Il en résulte une suite continue dans le temps et l’espace d’évolutions des formes: une « unité de devenir » de l’abstrait vers le concret, par adaptation à l’environnement externe éventuellement changeant.
Le premier problème technique à résoudre a été le refroidissement : le transfert de chaleur des parois du cylndre vers le fluide par eau est 175 fois plus grand que celui par air pour une même température, même pression et même vitesse du fluide ; mais pour refroidir par air on recouvre le cylindre d’ailettes dont la surface d’échange est 100 fois celle de la paroi, la vitesse de l’air 8 fois celle de l’eau ; l’eau du radiateur à 70°C est plus chaude que l’air, qui refroidit donc beaucoup mieux, au moins « sur le papier » ; mais la température atteinte dans les soupapes d’échappement, (zone critique d’après la description qui suit), est plus élevée que si on avait refroidi avec de l’eau : un problème local critique subsiste ; il reste que la solution à eau, avec un radiateur, ne va pas dans le sens de la concrétisation : c’est une béquille !
Pourtant sur les moteurs les plus performants construits à la veille de la guerre de 1939, les culasses sont refroidies par air, mais les cylindres sont refroidis par air et eau pour atteindre 940 ch en pointe : avec une pompe à eau, le moteur 14F suralimenté pèse 710 Kg.
Mais la concrétisation a suivi le processus qui suit. Partant d’un cylindre et de sa culasse portant les soupapes, conçues pour supporter une pression et une température élevées qui déterminent l’épaisseur nécessaire du métal, on hérisse la culasse d’ailettes ayant d’abord pour seul rôle son refroidissement par convection de l’air qui lèche leur surface ; mais dans un moteur plus récent, on s’est avisé que les ailettes de refroidissement, perpendiculaires à la culasse sur une certaine hauteur pour offrir une surface d’échange, renforcent sa résistance à la pression par leur propre résistance à la flexion qui est accrue : la culasse munie de ces nervures peut être amincie substantiellement en conservant la rigidité requise grâce au moment d’inertie des ailettes ; de plus la coque amincie est plus facile à refroidir que la coque épaisse d’origine, la quantité de métal chauffé étant moindre.
Finalement le problème technique résolu n’est pas le compromis entre des exigences contradictoires, mais une convergence progressive vers une forme plus adaptée dans laquelle l’objet technique s’est concrétisé : les éléments assemblés sont interdépendants par échange d’énergie entre eux parce qu’ils peuvent participer à tous les rôles dès lors qu’ils sont là : on peut y répartir les fonctions à remplir.
Mais avant les ailettes, il convient déjà de rechercher où la pression et la chaleur pose des problèmes critiques. Une individuation relative prend forme entre des pièces séparées par des isthmes étroits : le moteur comprend un piston qui se déplace dans la chemise du cylindre dont il est séparé par des segments avec un jeu, aussi faible que possible pour que le piston se déplace librement mais dans une seule direction ; il faut un jeu entre le piston et le fût de la chemise, et ce jeu favorise le refroidissement par air : autre convergence utile des formes! Mais plus le jeu est grand plus il y a du bruit: des vibrations, surtout autour du Point Mort Haut. Le segment est la pièce la plus délicate du moteur : le premier segment d’étanchéité est soumis à des pressions P de plus de 100 bars (atmosphères) de gaz de température atteignant 2000°C ; il est lui même à une température variant de 10 à 250°C et se déplace à 10 mètres/seconde.
La pression et la température demeurent les conditions de la puissance : il ne faut pas refroidir plus que nécessaire, ni ailleurs que là où c’est nécessaire : la chaleur retirée sans motif ne se transformera pas en travail ; d’où l’idée, de solution chère, de faire circuler de l’huile dans une galerie autour de la gorge du segment de tête : un refroidissement par projection d’huile depuis le cylindre est efficace à cause de l’effet shaker du barman produit par le mouvement aller-retour du piston : encore une irruption d’analogie productrice d’abduction.
La culasse est une pièce très compliquée à fonctions multiples soumise à des efforts de fatigue intense : elle ne doit pas se déformer pour assurer l’étanchéité culasse-cylindre, elle supporte des contraintes périodiques, doit évacuer la chaleur qui n’est pas transformée en travail, et elle reçoit les soupapes.
Si le diamètre du cylindre est D, l’épaisseur e du fond de la culasse est environ le dixième : e = 0,1D. La contrainte de la culasse maximum au centre sous une pression P est :
P( D/e) ², soit 100P = 10000 bars : de quoi transformer du graphite en corindon sinon en diamant !
La culasse en contact intime avec les gaz de combustion doit évacuer un maximum de chaleur ; la température la plus élevée est à la soupape d’échappement : le flux thermique s’opère avec un bon coefficient de conduction et convection par les surfaces de fond de culasse et de tête de soupape pendant les temps moteur et échappement, et par les conduits d’échappement pendant le temps échappement ; mais la chaleur emmagasinée dans la soupape elle-même ne peut s’évacuer que par les surfaces de soupape, avec une faible conductivité, et elle n’est extraite que si la tête de soupape est bien assise ; sinon c’est un point d’usure de la tête qui n’est pas bien refroidie, et d’avarie rapide.
Si la vitesse angulaire de rotation est : ω radians par seconde le débit du volume transvasé varie comme ωD³, la vitesse de passage dans les soupapes comme ω D mètre/seconde. Une vitesse d’ouverture la plus grande possible impose une grosse came. La vitesse du son peut être atteinte quand la section est faible, et semer une embûche.
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