Application illustrative des concepts de la transduction
Des exposés détaillés de modèles de transduction sont présentés dans d’autres articles. Nous reprenons ici l’exemple d’une descente de skieurs autour de bosses séparées par des creux, déjà présenté comme l’analogue par abduction d’un recuit simulé, lui même analogue de la recherche du minimum d’une fonction de coût à variables multiples:
En effet l’exemple des pistes de ski nous permet d’illustrer les notions présentées sur la transduction selon Simondon, en nous interrogeant maintenant sur la formation même du champ de bosses et creux comme individu collectif, qui peut se produire dans des circonstances comme celles que nous décrirons.
L’idée la plus simple s’inspire de l’adage fameux sur la Culture, qui est « ce qui reste quand on a tout oublié ». De même le champ de bosses, c’est «la neige qui reste quand le passage des skieurs a tout éjecté».
Ce champ est un modèle qui a fécondé l’imagination de bien des créateurs, notamment de certaines théories gravifiques de l’espace-temps primordial, invoquant des supercordes, des boucles ou des lacets. Mais toujours dans le souci de « ne pas monter plus haut que la chaussure », nous nous en tiendrons au modèle ci-après qui présente ce phénomène comme une explication simple de la transduction[1].
Considérons d’abord le cas du passage initial de skieurs effectuant des virages enchaînés vers la gauche puis vers la droite sur une piste de ski à l’origine lissée mais non damée, qu’on peut assimiler à une réalité préindividuelle s’ils y produisent pour commencer un quadrillage de tracés d’allure sinusoïdale d’abord aléatoires : une neige résistante a pu se former dans des endroits locaux où la température de la neige est à peu près uniforme par agglomération de grains de glace, formation de ponts ; la surface de cette neige affecte la forme de minibosses séparées par des minicreux, où la vapeur d’eau s’est déplacée vers les creux et s’y est condensée en rouleaux.
Chaque skieur, en s’appuyant sur son ski amont puis sur ses carres, arrache des morceaux de ce type de neige qui sont expulsés vers l’aval par la gravité et vers l’extérieur du virage par l’accélération centrifuge, amorçant localement l’activation de l’énergie potentielle de gravitation en mini-avalanches et celle de l’énergie de rotation des skieurs en moments cinétiques de cette neige. Ces mouvements ont pour effet de renforcer le quadrillage initial de traces, qui aura servi de germe pour engendrer une première résonance interne par la répétition : les skieurs empruntent « de préférence » le chemin tracé entre les accumulations de neige arrachée qui finissent par former des bosses, autour desquelles ils tournent : c’est un bon exemple d’ «auto-organisation», dépendant des nombreux paramètres définissant la situation dynamique : niveau des skieurs, taille des skis, qualité de la neige, qui finit par « individuer » une forme qui émerge d’un fond et se propage : une sorte de pseudo-réseau cristallin bi-dimensionnel prend figure par activation des potentiels, dès que les bosses atteignent une « taille critique » psychophysiologique : celle à laquelle les skieurs « préfèrent » tourner autour : c’est bien « la genèse elle-même en train de s’opérer, c’est à dire le système en train de devenir, pendant que l’énergie s’actualise ».
Le skieur franchit les bosses à la crête par flexion-extension en pliant les genoux pour « avaler » la bosse, puis en les tendant pour garder le contact avec la neige. Il racle donc en flexion de la neige au bas du flanc aval de la bosse qu’il quitte, et la dépose en extension en haut du flanc amont de la bosse suivante qu’il aborde. De ce fait la suite des bosses et creux prend l’aspect d’une onde progressive, qui donne l’impression que la neige remonte la pente, comme un bouchon de circulation remonte un embouteillage, la neige étant transportée du bas de la bosse supérieure en haut de la bosse inférieure : le réseau pseudo-cristallin semble remonter lentement, à la vitesse de 8 centimètres par jour dans l’exemple cité, vers l’amont, alors que les skieurs vont vers l’aval. Il serait donc possible de le vérifier au bout d’une semaine de séjour en prenant des marques. Une propriété émergente apparaît, dans un « système énergétique qui est individuant dans la mesure où il réalise en lui cette résonance interne de la matière » : une forme émerge et se propage « de proche en proche sur une structuration opérée de place en place ».
On a objecté à cette présentation du phénomène que le moment cinétique de la neige raclée la disperse au loin, le skieur ne la déposant sur la bosse suivante que s’il va très lentement ; mais c’est le cas des skieurs vacanciers, les plus nombreux : ces skieurs lambda sont les principaux responsables de la formation d’un champ de bosses, individu collectif. Quant à ceux qui vont vite et sautent les bosses: champions, moniteurs professionnels, habitants locaux, ils auront contribué à former un creux sur leur trace et une bosse plus loin : contribution secondaire en saison, qui déforme localement le phénomène collectif sans le détruire.
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[1] BAHR D. : The surprising motion of ski moguls, in : Physics to-day 62, nov 2009 pp. 68-69 cité par : MADJER K. http : //sweetrandomscience.blogspot.fr/2013/02/la-physique-des-bosses-sur-les-pistes…