Les choses ont-elles des contours ?

Les choses ont-elles des contours?

Les objets matériels, les choses, sont le plus souvent représentables sur une surface plane, une feuille de papier, par des images, qui ont un contour apparent, que je dessine avec maladresse, mais qui peuvent éviter des embrouilles si elles distinguent nettement la représentation d’un intérieur de celle d’un extérieur, une forme d’un fond, dans un espace à deux dimensions sur les trois de la feuille de papier dont deux caractéristiques importantes sont définies par des relations : la longueur d’une feuille de livre, dont la forme est celle d’un parallélépipède rectangle pliable, est égale au produit de sa largeur par un nombre d’or ; le rapport de sa longueur à l’épaisseur du papier, un peu plus de 5000, caractérise sa matière.

Cela ne suffit pas toujours : si je dessine un mouton, le dessin est une image, mais pas le mouton; c’est une image de mouton, qui représente une idée du mouton, lequel est un être vivant, pas une idée, ni une image. L’objet matériel lui-même, auquel mon appareil visuel composé de deux yeux arrive à conférer trois dimensions perçues a un bord, une frontière, qui le sépare de ce qui n’est pas lui dans l’espace tridimensionnel, environnement qui constitue son extérieur.

Les objets culturels, les idées, qui sont en général des objets immatériels, ont-ils un bord, un contour apparent ? Oui, ils sont bordés par une définition des idées. On les exprime par aale langage, en les nommant, en les classant par des prédicats : moyen surabondant, redondant. On n’a pas vraiment besoin de tout le langage pour exprimer des sentiments en vue d’une communication, d’un échange d’information pour l’action. Huxley a remarqué qu’une vingtaine d’interjections suffisent, remplacée dans Internet et les réseaux sociaux par des smileys (émoticônes jaunes) plus nombreux, qui représentent la grande variété des émotions par le contenu d’une boîte cranienne stylisée.

L’écriture permet d’exprimer toutes les idées du monde exprimables par le langage sur la feuille de papier, à partir d’une vingtaine de figures de lettres aux contours nets se détachant sur un fond, ou mieux par 255 caractères ASCII codés sur le clavier d’un ordinateur par un code binaire à 8 bits commandant le dessin de ces figures sur son écran ou sur le papier alimentant son imprimante. Dans les bandes dessinées on les inscrit à l’intérieur du contour d’une bulle, d’un phylactère qui sort de la bouche d’une image de personnage. Mais la matière dont les rêves sont faits est entourée de sommeil, bord à contour peu consistant : la pénombre, le clair-obscur, ou bord sujet à discussion comme le limes romain, le bord de l’espace Schoengen

Milieu intérieur et extérieur

Si l’objet matériel tridimensionnel a un volume représentable, sa forme délimite un milieu intérieur limité par un bord qui est une surface, séparant ce milieu du milieu extérieur environnant. Le bord est une frontière, qui marque une discontinuité de la matière, si celle du milieu intérieur diffère de celle du milieu extérieur. Le bord lui-même n’a pas de frontière, n’a pas de bord. La surface d’une sphère n’a pas de bord, celle de la Terre est floue. La surface réelle des mers perçue comme objet bidimensionnel est séparée de la surface des terres, autre objet extérieur au premier, par un bord mathématique linéaire représentable sur la carte qui n’est ni la mer ni la terre, mais sur le territoire par un bord physico-biologique, voire socio-psychologique et climatologique suivant les éléments qu’on y distingue : la côte, objet complexe en perpétuelle évolution et de dimension fractale, nécessitant qu’on précise que les fleuves et ce qu’ils contiennent se rattachent à la surface terrestre, ainsi que l’un des côtés des vagues séparés par la crête; et quel est le statut des passagers clandestins ou non: requins, mouettes, surfeurs, et celui de l’atmosphère qui les surplombe dont le partage impossible entre les deux surfaces oblige à la considérer comme un troisième milieu. La mer des Sargasses n’a pas de côtes: c’est un morceau de mer bordé par des courants marins de tous cotés, rempli de varechs et d’anguilles: un objet naturel.

Un morceau de la Terre limité par un contour est une sorte d’objet, historique ou géographique: la Mer Méditerranée a été le «berceau» de nombreuses civilisations ; la Chine également. L’une et l’autre ont les contours d’un berceau. En Chine, les civilisations dormaient à l’intérieur, protégées par une muraille. Celles de la Méditerranée se sont développées le long de son pourtour, sur la Terre extérieure.

Ainsi la notion d’intérieur, d’extérieur de l’objet est relative : c’est une vue de l’esprit rationnel, comme l’ont bien compris Pierre Dac et Francis Blanche, créateurs en 1956 du feuilleton: Signé Furax, publié en bande dessinée dans France-Soir. Dans un des épisodes, le héros kidnappé, les yeux bandés, est déposé nuitamment à la Place de la Concorde sur le bord du terre-plein central portant l’obélisque de Louqsor, situé au milieu d’un jardinet entouré d’un grillage de forme carrée. Il avance vers le bord du grillage à l’extérieur, et y posant les mains le suit à l’aveugle à la recherche d’une «sortie». En tournant et percevant avec ses mains, ses deux bras, quatre angles droits successifs, il croit comprendre, par une délibération de son esprit sur l’espace euclidien, qu’il est revenu à son point de départ sans trouver de passage :

―« Les saligauds, ils m’ont enfermé ! » s’exclame-t-il sous son bandeau. Il est enfermé dans l’extérieur, dans le monde pensé par Parménide[1], qu’il croit intérieur, mais qui est l’environnement, dont on ne sort pas.

Éléments composants de l’objet

Le bord de l’objet, élément ou individu, comme le contour de son image, est ce qui manifeste sa forme, qui fait émerger une figure du fond. Mais l’objet matériel technique se distingue de l’être vivant par sa relation avec ses éléments : l’objet technique est construit à partir d’éléments séparés construits au préalable pour remplir une fonction, qu’on assemble pour former un individu  ; l’être vivant diversifie sa forme externe, son bord, pour y construire par continuité spatiale et temporelle les organes, distingués comme composants à un premier niveau.

Aristote s’est demandé si un composant d’animal : une aile ou une patte de poulet, pouvait être considéré comme un être, un « ousia », et a décidé que non : pour lui l’être c’est l’individu, un morceau d’être n’est pas un être, l’être oiseau ne s’étale pas en sous-être. La patte, l’aile a une fonction, processus qui a imposé une forme, une structure adaptée: l’organe est par là semblable à l’élément technique. Aristote le distingue des parties intermédiaires : les tissus, chairs, muscles  ; les fluides, sang, lymphe, bile, flegme qu’il amet du coté de la matière constituant l’individu. Ce sont les parties homéomères, semblables entre elles et au tout individu, comme dans un hologramme  ; opposées aux organes anhoméomères, parties différentes entre elles et du tout[2] : ils sont fous, ces Grecs !

Un objet technique peut faire apparaître des anhéomères dans sa forme sans assembler des éléments, si l’on ne considère pas comme assemblage l’addition à un objet de son bord : quand on le peint, on l’assemble à de la peinture, et on crée un nouveau bord.   Mais un dé se présente sans assemblage, d’une seule pièce, comme un volume cubique, dont le bord contient six faces carrées, douze arêtes segments de droite et huit coins, anhoméomères[3] quoi qu’on fasse. La forme d’un objet n’est pas une chose mais un concept, dont le tout est homéomère, et les parties anhoméomères si on les découpe.

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[1] KADOSCH M. : Avatars de la vérité, CreateSpace,2015, p.73.

[2] ARISTOTE : Météorologiques.

[3] THOM R. : Prédire n’est pas expliquer, Champs Flammarion, 1991, p. 117.

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