1- Investigations au jour le jour dans le passé

Investigations

Cette catégorie du Blog récapitule des souvenirs que son auteur a conservés, et son témoignage sur des évènements qu’il a vécus. Il n’a pas tenté de consigner «tout»., Il a cherché à en éliminer l’insignifiant, le peu signifiant, et tenté d’en dégager un Plus Grand Commun Dénominateur minimum, selon la recommandation de R. Browning et de Mies Van Den Roe: «Moins c’est plus».

La catégorie «Histoires» est écrite tout d’abord pour ma famille, mes amis et quelques personnes que j’admire, elle ne sera sans doute lue, si elle l’est, que par un public francophone. Or je rappelle par endroits quelques propos exprimés dans des langues étrangères imprononçables en français, qui sont restés gravés tels que je les ai entendus dans ma mémoire.

Plutôt que de recourir à l’Alphabet Phonétique International, j’en ai retenu l’écriture la plus simple que j’ai trouvée: q ou d/ pour le «th» anglais et grec, et j’ai utilisé l’orthographe phonétique du français selon Raymond Quéneau: «épui sisaférir tanmy-e, jécripa pour anmyélélmond» .

En 1927 ma famille a acquis à Tanger un gramophone sur lequel j’ai écouté pour la première fois de l’anglais chanté par Louis Armstrong: «you are giving me crazy, what did I do». J’ai entendu: «Vodéladou», c’est ce qui est gravé dans ma mémoire à long terme.

En 1933 ma famille a acquis à Rabat un poste de TSF de la marque Philips superhétérodyne, sur lequel j’ai écouté l’émission sur ondes longues de la station émettrice de Séville dont la speakerine espagnole s’exprimait avec l’accent andalou. Je retranscris de mon mieux en quéneau phonétique:

« Aki Radio Sévi-ya ! Oïga ousté Carmène, dé Bi/qè !»: nous avons bien ri à cette évocation de Bizet.

La langue française a emprunté à d’autres langues, à l’anglais notamment, beaucoup de mots pour enrichir son vocabulaire dans la conversation courante. Ainsi le mot arabe qui désigne un médecin: toubib, est synonyme de médecin en français. Le mot russe: Bistro, vite, vite! aurait été utilisé en 1815 à Paris par les Cosaques vainqueurs de Napoléon au comptoir des estaminets, devenus Bistrots depuis. Azur et Bazar sont des mots persans. L’allemand: Was is das ? Qu’est ce que c’est que ça? désigne en français un vasistas, etc.

Mais, pour reprendre ce que j’ai avancé ailleurs, comment se fait-il que kadosch soit mon nom?

Ce «nom» n’est pas la chose nommée, qui est : Moi, dans la mesure où ce Moi est.

Ce nom rappelle le garçon de café dans l’Être et le Néant de Sartre, qui n’est pas ce qu’il est, qui joue à être ce qu’il est pour le réaliser.

Suivant Merleau-Ponty, ce nom n’est pas une chose du tout : le Moi qu’il désigne se voit lui-même voyant, il regarde sa main à Lui. Or les choses ne se voient pas elles-mêmes. Elles se montrent, apparaissent dans nos yeux. Quand il regarde une chose, elle est dans son œil, et « là-bas ».

De fait kadosch est le «nom» auquel  Je (sujet)  réponds quand On (sujet) m’appelle : Moi (objet), contrairement au troisième chien de Cadet Rousselle, qui fuit quand on l’appelle, ce chien de Jean de Nivelle, qui prit le parti de Charles le Téméraire et refusa de répondre à l’appel de son roi.

«kadosch» n’est pas une chose: il désigne un Moi qui répond.

Mon lecteur m’appelle : Moi, qui Lui répond: pas le nom, qui ne Lui répond pas. Parce que comme le chien de Jean de Nivelle, ce nom n’utilise pas la parole; et non parce qu’il n’a rien à dire : il dit peut-être plein de choses muettes qui apparaissent dans le cerveau de mon lecteur et le traversent, et par là appartiennent à son Moi, pas au Mien.

Pourquoi un Blog.

Le moment où j’atteindrai l’âge de cent ans se rapproche sérieusement : j’ai jugé bon et utile de mettre dans un blog ce que j’ai fait qui, je crois, mériterait d’être lu, ou au moins parcouru, sous une forme plus agréable à lire: en gros, j’ai coupé en morceaux le contenu de mes livres, et j’ai recopié comme «images» les articles que j’ai publiés, depuis 1947.

Retours en arrière: Il y a très longtemps, en 1939, rentrant à l’âge de 18 ans en «taupe» (classe de préparation aux grandes écoles) à la veille de la guerre, j’ai eu le privilège de tomber par hasard sur le livre de Chapman and Cowling: «the mathematical theory of non-uniform gases»

Je ne connaissais absolument rien de la physique des gaz: seulement le thermomètre à hydrogène, au programme de physique de la taupe, pour des raisons mystérieuses! j’ai dévoré avec passion tout le bouquin: le «théorème H», sanctuaire de cette théorie, y était appliqué à des chocs de boules, à des boules s’attirant suivant une loi de leurs distances r, en: r-7 ou suivant la loi de Lennard Jones: r-6 – r-12 , comme un simple exercice mathématique de taupe et d’apprentissage de l’anglais.

Je ne possédais pas la moindre connaissance en matière de thermodynamique: rien, pas de principe de Carnot-Clausius, ni d’entropie, d’effet Joule Kelvin, etc : même pas l’équivalence chaleur- travail, calorie- joule!

Cela ressemblait donc fort à un jeu de quilles, ou à la théorie des flux d’automobiles sur les autoroutes établie par Ilya Prigogine, à l’époque conseiller scientifique de la General Motors, dont j’ai pris connaissance beaucoup plus tard: elle scandalisait le commanditaire de cette étude: parce que son théorème H s’y rapportait à une «intégrale des collisions»: mot honni dans la profession…

Dante a écrit au début de l’inferno: Nel mezzo dil cammin di nostra vita, mi ritrovai per una selva oscura che la diritta via era smarrita«Au milieu du chemin de notre vie, je me suis retrouvé par une forêt obscure car la voie droite était perdue». Suffit-il pour cela de mettre un pied devant l’autre, pour marcher droit, en pointillé à la Seurat? Descartes dit qu’il faut tracer cette voie droite à l’intérieur de soi-même, tenter de mettre de l’ordre là où il n’y en a pas, changer l’ordre de ses pensées plutôt que celui du monde, de l’étendue: d’autres ont cherché à les faire coïncider.

Dante se dit perdu au milieu du chemin de notre vie: pour les Anciens, ce milieu était le point le plus haut de la courbe du soleil, l’akmé: trente cinq ou quarante ans, et pour Dante, sûrement pas la moitié du chemin d’un individu «moyen», ni «median» de la science statistique.

Nostra vita: data aléatoire, personne ne connaît le milieu du chemin de «sa»vie, selon l’ordre «d’un certain temps». Dante est mort à cinquante-six ans, il écrit à trente-cinq ans que c’est bien lui-même qui s’est perdu sans se perdre, mi ritrovai, dans une forêt d’erreurs et de fautes, dont une excusable: il ne pouvait pas savoir qu’il n’avait plus que vingt-et-un ans à vivre au lieu de trente-cinq.

Plus récemment: j’ai vécu l’aventure suivante qui m’a été profitable, dont je certifie l’authenticité, et qui devrait rappeler au lecteur francophone un livre français connu.

   «Par une belle matinée de Mars, un très vieil homme, s’appuyant sur une canne munie d’une dragonne pendue sans emploi, parcourait les allées numérotées du Salon du Livre», Paris, Porte de Versailles, guide à la main, lorsque son regard tomba sur: «Anaximandre de Milet, qui le premier ouvrit les portes de la Nature, à la naissance de la pensée scientifique ».

Il ne s’écria pas: «Messieurs, chapeau bas! » car il ne portait pas de couvre-chef, mais préféra acheter l’ouvrage et d’autres, du même auteur italien: Carlo Rovelli, car il craignait les Grecs même faisant des cadeaux, et continua sa promenade».

«Une douzaine de mètres plus loin, il s’arrêta intrigué devant un stand intitulé Cépaduès, qui exposait une pile de très gros livres dont le titre: «Panorama de l’intelligence artificielle» attira son attention à nouveau. Feuilletant les chapitres successifs suivis d’une abondante liste de références, il eut bien du mal à repérer les noms des créateurs de l’I.A.: Mc Carthy et Minsky; des ancêtres: Church et Turing; des précurseurs: Ashby, Pitts, Bidgelow et McCulloch, et il ne parvint pas du tout à trouver parmi eux Grey Walter et ses tortues, ni même Rummelhart et Leyland. Interrogeant l’exposant, qui lui dit être de Toulouse et représenter l’I.A. locale, il se risqua finalement à acquérir l’ouvrage en plusieurs tomes décrivant l’I.A. vue de France».

J’ai répandu autour de moi cette manne précieuse, et des amis m’apprirent l’existence des autres livres de Carlo Rovelli, dont l’ «ordre du temps», que j’ai présomptueusement comparé à mon ordre tel que décrit dans mon blog et à l’ordre du temps selon Dante.

Après avoir ainsi décrit en détail «ce que j’ai fait», qui m’a paru digne d’intérêt, je me suis proposé de faire analyser «qui je fus» dans l’ordre du temps, et «qui je crois que je suis», avant de tenter de rechercher «d’où je viens».

Pourquoi ne pas commencer par chercher mon appellation: Kadosch, dans un dictionnaire? Je ne la trouve pas dans le Petit Larousse Illustré, composé d’une liste de noms communs et d’une autre de noms propres séparées par une liste de Pages Roses contenant des locutions d’auteurs en toutes langues, des proverbes, des locutions proverbiales, des figures de style. Rien dans les noms propres: aucun Kadosch n’a connu assez de gloire pour qu’elle fût enregistrée au dictionnaire, même pas comme acteur de cinéma, footballeur ou gangster.

Par contre j’ai trouvé quelque part, je ne me rappelle plus où, «kadosch» enregistré comme adjectif !

kadosch serait la transcription d’un adjectif de la langue hébraïque, où il signifierait: saint, ou sacré, ou tabou; et désignait un être dont on ne doit pas prononcer le «nom».

Qu’est-ce qu’un détective privé ou un journaliste enquêteur comme   Rouletabille, pourrait apprendre à propos du simple particulier que je suis, inconnu du public, sinon ce que je lui aurais appris moi-même?

Un généalogiste convenablement rémunéré m’en apprendrait davantage, en explorant des archives officielles: il me présenterait un arbre de dix générations: plusieurs membres de ma famille en ont fait l’acquisition. J’y ai trouvé quelques uns de mes parents, et parfois moi-même.

Plus prosaïquement vais-je confier l’enquête à un Commissaire de Police? Dans mes vieux papiers d’identité je trouve une carte d’identité d’étudiant de 1940, sans intérêt. J’ai eu aussi à la même époque un passeport établi en 1941 au Maroc, pays où j’habitais et dont j’étais officiellement ressortissant selon les lois en vigueur à l’époque; ce document était nécessaire pour que je puisse pénétrer à l’intérieur de l’Etat Français de l’époque, où je devais suivre les cours de l’Ecole des Mines de Saint Etienne, en qualité d’élève ingénieur des mines de l’école des mines de Paris, située dans le territoire de la France occupée par la Wehrmacht auquel je ne pouvais accéder. Il a disparu de ma cave mais pas de ma mémoire. Parmi les indices de reconnaissance, figuraient: yeux bleus; cheveux châtain clair, taille: 1m65; poids: 50kg: à l’époque la nourriture était limitée par une carte d’alimentation en raison de l’occupation suivant l’armistice, et nous étions sérieusement sous-alimentés. Autre signe particulier: porte des lunettes.

En saurais-je davantage en présentant les documents que je possède à un archiviste paléographe, fonctionnaire issu de l’ Ecole des Chartes, dont René Girard fut un illustre représentant, auteur de la théorie du désir mimétique? Il va du général au particulier et vice versa, à la recherche de l’origine des religions.

La religion c’est quelque chose qui «relie»: enfin, qui devrait relier. Il  y a un lien entre dieu, rites et sacré, que Girard s’est efforcé d’éclaircir: il ne parle pas de croyances ni de croyants: c’est autre chose.

On peut être religieux: c’est-à-dire appartenir à un club,  sans être croyant. Les rites et le sacré c’est d’abord pour la survie du club : pour qu’il persévère dans son être.

Pour expliquer que c’est là le challenge, l’origine de la religion selon lui, Girard a soutenu que le sacré est au religieux ce que le phlogistique est à la théorie de la combustion, fondée sur la découverte de l’oxygène.

Lavoisier n’a pas découvert l’oxygène; il a découvert, partant de l’existence prouvée de l’oxygène, que la combustion s’expliquait par un «oxygène négatif», un non-oxygène: cet O qui s’est allié au charbon C pour faire du CO2 qui a disparu seulement de la vue, devenant un gaz auquel Lavoisier a été le premier à faire attention car il était tout de même le plus lourd dans ses cornues: C =12; O=16; CO2= 44.

Girard n’a pas découvert l’imitation, la mimésis : elle était déjà connue de Platon, Aristote, Gabriel Tarde, et en dernier lieu des italiens qui ont découvert les neurones miroirs. Mais il a fait de cette mimésis  son phlogistique négatif.

Rappelons que le sacré, la non-communication, c’est déjà une communication négative, le contraire du «mana», créateur de lien social: je serais tenté de dire: c’est du CO2! Mais ce serait rejeter les végétaux.

Ainsi le mot hébreu: kadosch signifie sacré: les tribulations sur mon patronyme m’ont confronté de bonne heure à cette notion de sacré, ciment originel d’une société humaine qui lui aurait servi à évacuer la violence : il détermine des interdits et obligations que ses membres se sont imposés dans le but d’éviter le retour d’une violence qui détruirait la société; et des rites, des mythes qui leur en rappellent l’existence passée en la simulant sous la forme d’un sacrifice.

De leur coté, beaucoup d’auteurs contemporains semblent s’accorder sur un point: ils retiennent du sacré son caractère d’incommunicabilité ; la marque du sacré c’est la non-communication, le contraire de la communication, qui est pourtant la condition même d’existence de toute vie, et une marque profonde de la condition humaine. La   transgression, la révélation de certains secrets (en grec: apo-calypse) serait la source de grands maux. Le fruit défendu du jardin d’Eden, le feu volé par Prométhée dans l’Olympe, etc. en furent des exemples mythiques, mais des exemples scientifiques,  ou se rapportant à notre société actuelle ne manquent pas: l’information recueillie par un être vivant dans son environnement, les caractères acquis, ne sauraient être transmis à l’ADN, sous peine de destruction de l’espèce;   notre corps ignore la manière dont il acquiert une information, dont il forme des images; le bouton sur lequel appuyer pour déclencher une attaque nucléaire est un secret sévèrement gardé.

Cela établit un lien entre la notion de sacré, qui remonte à l’origine même de l’humanité, et celle de communication, dont l’envahissement actuel, source de désacralisation ou son aboutissement, ne nous permet plus de négliger la modernité, ni la technicité.

Qu’est-ce qui n’est pas communiqué de nos jours, après les efforts conjugués de Steve Jobs, de Bill Gates et de leurs émules pour tout mettre en communication: quelques mots de passe pour communiquer secrètement avec les puissances de la société indispensables à notre survie ? un sésame de quatre chiffres pour accéder à notre caverne d’Ali Baba personnelle ?

Dans « La question de la technique », le philosophe Heidegger soutient que la technique moderne dans son essence est une provocation, elle poursuit l’objectif inconscient de faire advenir l’homme d’une manière nouvelle, dans l’arraisonnement de la nature : l’interrupteur électrique convoque la lumière, il somme la lumière de comparaître. La centrale électrique sur le Rhin met le fleuve en demeure de livrer sa force.

Aux yeux de ce Philosophe, l’informatique devrait donc être une provocation qui arraisonne la nature, lui enjoint de communiquer tout ce qui est techniquement communicable, l’enregistre et l’accumule sans autre possibilité d’oubli que la limite de sa capacité d’enregistrement. Elle cherche à faire advenir l’homme d’une manière nouvelle, hors d’une nature réduite à un fond disponible dont elle doit s’emparer. La souris (ou le petit doigt sur le smartphone) somme l’information préenregistrée de comparaître à l’écran. Elle contribue ainsi à désacraliser le monde.

Ce Philosophe a négligé le fait qu’avant la technique cet homme nouveau a été précédé depuis la Renaissance par le Souverain, qui après avoir fait entendre raison aux Barons, tenta d’arraisonner la nature en s’entourant à ses pieds de ménageries d’animaux exotiques enchaînés et de jardins d’arbres taillés en cubes, en pyramides, et en sphères, alignés comme des régiments de gardes-suisses.

Les défilés rectangulaires hitlériens, staliniens, nord-coréens sont perpétués sur nos écrans par le tableur Visicalc et ses successeurs, issus de l’inconscient informatique : je somme l’information de se répartir à mon commandement en rangées et colonnes, selon un ordre que je comprends, et qui présente au Souverain les graphiques de gestion censés représenter la dernière ligne du compte d’exploitation d’une manière suggestive, que n’aurait pas récusée le jardinier de Louis XIV Lenôtre.

Mais l’informatique a fait advenir aussi Mandelbrot, digne successeur de Zénon d’Élée. Qu’est-ce qu’un Goebbels aurait fait de ses fractales ?

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