Du pulso-réacteur au respirateur artificiel

Du pulsoréacteur au respirateur artificiel

À la suite de ces créations dans le domaine aéronautique, reprenant l’idée que l’appareil respiratoire des animaux, de l’homme, était un moteur atmosphérique tout comme les moteurs à piston et à réaction, producteur comme eux de ce gaz carbonique honni par nos contemporains, mais doté d’une finalité différente ! j’ai observé que le principe du déviateur par soufflage et du pure fluid flip-flop ressemblait fort au bouche-à-bouche.

J’ai proposé un respirateur artificiel alimenté par de l’air comprimé, qui s’auto-déviait lui-même de l’inspiration vers l’expiration en alimentant une dérivation sans aucune pièce mobile (fig 1). Il a été réalisé par mon collègue Cyrille Pavlin à la Société BERTIN[1] et nous l’avons d’abord présenté au laboratoire des pompiers de Paris, où il passionna aussitôt le général des pompiers, qui l’expérimenta lui-même  ;  il y voyait un appareil de secourisme pour la réanimation d’urgence dans les lieux publics, et nous conseilla vivement de confier sa réalisation opérationnelle à une PME comme celles des fabricants de pipes, montures de lunettes et objets en plastique semblables qui abondaient dans le Jura.

Puis l’appareil fut adopté par des médecins aux Hôpitaux Foch et Bichat, enthousiasmés à leur tour par le mythe de l’appareil sans pièce mobile[2] : ils n’avaient bien entendu aucune expérience de la réanimation d’urgence sur le terrain, mais étaient préoccupés par le traitement des insuffisants respiratoires sur lesquels on avait pratiqué une trachéotomie pour que l’air pénètre directement dans les poumons par une canule adaptée.

Peut-être était-il possible avec un système sans pièce mobile de revoir ce traitement, de le rendre plus économique, voire de favoriser un traitement à domicile pour les patients dont l’état ne nécessitait pas l’hospitalisation, avec l’aide d’une personne habilitée à effectuer l’aspiration.

Notre respirateur fit donc l’objet dans ces hôpitaux des essais préalables à l’autorisation de mise sur le marché (AMM) et les inventeurs se préparèrent à explorer des PME du Jura, pour en créer la version commerciale.

                                      

                               

Respirateur de la Société Bertin

Mais la Société BERTIN se jugea incompétente et dépassée dans le domaine médical, et son service commercial, fort mal inspiré, se laissa impressionner par un fournisseur des hôpitaux en bouteilles d’air comprimé, qui se déclarait intéressé par cette commercialisation, et bénéficiant de l’appui d’un grand groupe : impressionnée, la société BERTIN se laissa convaincre de lui céder la licence de son brevet ; mes protestations furent sans effet : je n’étais plus dans la Société Bertin, que j’avais quittée pour participer à la fondation de la start-up Cytec de François Giraud, et mes arguments (ceux du général des pompiers)  furent  jugés «non commerciaux», bien à tort comme la suite le montra.

Malheureusement l’homologation et l’AMM furent refusées, au motif officiel que la pression faisant basculer l’air de l’inspiration vers l’expiration : vingt centimètres d’eau, était trop forte dans le prototype, les alvéoles pulmonaires ne supportant que cinq centimètres, quatre fois moins.

Pour y remédier, il suffisait de modifier légèrement le profil, ou tout simplement de doubler la section de passage, divisant par deux la vitesse pour diviser par quatre la pression de basculement jugée excessive. Il est vrai que sur le moment l’appareil risquerait de devenir instable, mais le licencié semblait ne voir en lui qu’un gadget susceptible de favoriser son commerce de bouteilles d’air comprimé: il ne se soucia pas un instant de chercher comment « sauver le phénomène » sans pièce mobile, et l’abandonna aussitôt, s’en désintéressant totalement, sans rien chercher ni demander aux inventeurs, au grand dam des médecins de Foch et de Bichat qui manifestèrent avec force leur indignation et au surplus leur désapprobation totale de l’avis de l’examinateur, à leur avis aussi incompétent sur le sujet que le licencié  ;  mécontentement partagé par les pompiers, qui avaient besoin d’un appareil de secourisme pour des urgences supportant bien plus que cinq centimètres d’eau.

Pourtant ils étaient eux aussi comme nous-mêmes victimes du mythe : le transfert de gaz qu’on appelle ventilation pulmonaire résulte de l’action de muscles, du mouvement automatique d’une pièce « solide » mobile, le diaphragme, commandé par un signal de pression qui n’inverse pas lui-même le sens des gaz, mais est transmis au cerveau qui produit une commande à du hardware d’origine divine selon certains[3]  ;  autre mythe, mais à la limite moins inquiétant que l’illusion créatrice de l’homme qui viendrait au secours de Dieu quand Il serait en panne de créativité.

Dans une exposition publique de l’appareil, nous l’avons monté au-dessus d’une cuve remplie d’eau censée représenter la pression dans un poumon et son diaphragme par la hauteur d’eau variable oscillant dans la cuve. Les spectateurs fascinés respiraient en cadence avec le niveau de l’eau de la cuve, comme la tête munie du masque portant le respirateur (fig 5). Un jour quelqu’un eut l’idée de placer une cigarette allumée sur le conduit d’expiration : au bout d’un quart d’heure, l’eau de la cuve pulmonaire devint noire ! Sérendipité créatrice : troublés, les passants fumeurs jetèrent vite leur mégot…

[1] PAVLIN C. et KADOSCH M. : Mechanical characteristics of a pure fluid respirator with curved walls in : 1st International Conference on Fluid Logic and Amplification, Cranfield, 1965
[2]KADOSCH M., PAVLIN C.,GILBERT J., et ISRAEL-ASSELAIN R. : Appareil de respiration artificielle basé sur le principe des commutateurs fluides, sans pièce mobile, in : Journal Français de Médecine et Chirurgie Thoracique, vol XX, n°1, 1966, pp 6 à 22
[3] NELSON K. : The God Impulse Is Religion Hardwired into the Brain?, Simon and Schuster, mars 2011.a

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2 réponses à Du pulso-réacteur au respirateur artificiel

  1. Francois Ponsen dit :

    Bonjour Marcel
    Francois, le neveu de Gaby, que tu connais car nous nous sommes revus la dernière fois à Ste Thérèse ( le Rouret)
    Josette m’a appelé hier pour m’exposer ton souci
    Après renseignements pris auprès d’un des dirigeants de l’ INPI (Institut National de la Protection Industrielle), le brevet du respirateur artificiel est tombé dans le domaine public depuis bien longtemps et est utilisable par le quidam…
    Il aurait fallu le faire vivre/ évoluer afin de proroger le délai
    Donc aujourd’hui il n’y a pas de recours possible sur ce brevet
    Je t’ appellerai
    Francois

    • Marcel Kadosch dit :

      Bonjour François, très content d’avoir des nouvelles de toi.
      Bonjour François, je suis content d’avoir de tes nouvelles. J’ai beaucoup d’informations à communiquer à propos de ce respirateur artificiel-là, qui sont d’actualité, et d’une certaine importance, mais dépassent largement le cadre d’un commentaire d’article du blog. Je le ferai aussitôt que possible, et me contente ici de répondre à ton commentaire.
      Ce brevet de 1967 est domaine public depuis 1992 , l’intérêt de cette affaire est ailleurs, dans le respirateur artificiel lui-même, quel qu’en soit le propriétaire légal, brevet ou pas: à quoi aurait-il pu servir s’il avait été vraiment étudié et développé, alors qu’après avoir été exposé publiquement et avoir recueilli des encouragements enthousiastes, il a été ignoré délibérément et mis sous le boisseau de 1967 à 2018; à quoi pourrait-il bien servir aujourd’hui, où l’on reparle de respirateurs, alors qu’on n’a rien fait de celui-là pendant plus de 50 ans?

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